Be Bop

Jazz direct, qui dispensa la joie dans les foyers puis, durant les hostilités maintint le moral des troupes, le swing restait lié au « show-business » en dépit de la subtilité et de la profondeur de bien des oeuvres qu’il fit éclore. Le be-bop (ou bop) naît d’une réaction : puisque le jazz est l’art du peuple négro-américain, il faut le traiter comme tel et traiter l’artiste comme un créateur. Le jazz étant un mode de création, il faut étudier ses possibilités et enrichir son langage.

 

Le be-bop commença à se développer dès 1942 ; à travers les efforts de jeunes musiciens - Charlie Christian, Thelonious Monk, Kenny Clarke notamment - qui se réunissaient au cabaret « Minton’s » de Harlem. Parallèlement, Charlie Parker et Dizzy Gillespie, qui s’étaient rencontrés dans le grand orchestre de Earl Hines, s’attachaient, dans les cabarets de la 52e rue, à toutes sortes de nouveautés harmoniques et d’exercices de vélocité instrumentale. Porté par un certain nombre d’excentricités aimablement provocatrices, le be-bop connut un succès croissant qui atteignit son apogée en 1946.

             Charlie Parker 

 

Issu d’un travail sur la mélodie, l’harmonie et le rythme en jazz, le be-bop débouche sur un triple enrichissement. Sur le plan harmonique, les boppers explicitent, dans les grilles habituelles, des accords nouveaux sur les degrés de la gamme autres que la tonique et la dominante (accords de neuvième, de onzième, de quinte diminuée, etc.), ce qui accroît les possibilités offertes à l’improvisateur. Sur le plan mélodique, ils mettent au point un discours plus librement découpé, distribuant les accents rythmiques avec une fantaisie inconnue jusqu’alors, riche en traits de virtuosité. Sur le plan rythmique, enfin, tout en conservant la pulsation régulière, ils incitent les batteurs à s’intégrer plus profondément au discours mélodique en y introduisant des ponctuations qui le troublent et le relancent à la fois.

 

Le climat de be-bop traduit un arrière-plan d’inquiétude : celle de tout créateur interrogeant son art ; mais aussi celle du Noir, à qui la guerre a appris le monde et qui, ayant combattu aux côtés des Blancs, voit pourtant qu’il demeure une sorte de colonisé de l’intérieur ; celle du ghetto également, où s’enferment des jazzmen désireux de vivre leur musique jusqu’au bout, et qui, pour certains, a le goût de la drogue.

 

Le bopper le plus important est le saxo alto Charlie Parker. Improvisateur génial tant sur tempo lent, où il épanouit un lyrisme mélodique aux lignes admirables (Embraceable You) et souvent pathétiques (Lover Man), que sur tempo vif, où son jeu bouillonnant ouvre de vertigineux abîmes

 

(Ko Ko), il élabore un langage sur lequel le jazz vivra durant quinze ans.

 

Au piano, le meilleur répondant de Parker est Bud Powell (Tempus Fugit), tandis que Thelonious Monk et John Lewis attendent une heure de gloire qui sonnera quelques années plus tard. Le trompettiste Dizzy Gillespie est le second porte drapeau du mouvement, déployant un jeu d’une fantaisie et d’une virtuosité étincelantes (Groovin’High). De 1945 à 1950, il dirige un grand orchestre qui vulgarise avec éclat les principales trouvailles du bop. (Two bass Hit, Manteca). Auprès de Dizzy, le trompettiste Fats Navarro (The Squirell) développe un jeu également ferme mais plus posé.

 

 

Il faut noter que les saxophones ténors de cette époque ont tous tenté la synthèse Parker/Young (Gene Ammons, Wardell Gray, Dexter Gordon&).

 

Le tromboniste Jay Jay Johnson adapte avec bonheur les données de jeu bop à son difficile instrument (Afternoon in Paris).

Sur le plan rythmique, Kenny Clarke, Max Roach et Art Blakey constituent le brelan maître de la batterie, et Ray Brown reprend, à la contrebasse, la place souveraine qu avait tenue, à la période précédente, Jimmy Blanton.

 

 

Une chanteuse, enfin, à le voix sensuelle et étonnamment étendue, tire un profit séduisant des trouvailles du bop : Sarah Vaughan (Sassy s Blues).